Les 19 et 20 juin 2025 s’est tenu à la Sorbonne (Maison de la Recherche) un colloque intitulé « Nommer les écrits de soi, 16e /21e siècles », organisé par le CELLF (Centre d’étude de la langue et des littératures françaises), unité mixte de recherche de Sorbonne Université et du CNRS. Le sujet peut paraître bien pointu, mais l’étude des titres et appellations donnés aux écrits de soi s’avère révélatrice de l’approche qui en est faite par leurs auteurs et de leurs intentions d’écriture. Pour des raisons de force majeure, je n’ai pu assister qu’à la deuxième journée de ce colloque, dont je vais rendre compte ici ; mais la diversité des exposés entendus me donne à penser que j’ai pu capter ainsi quelque chose de son ensemble.
Présentation
Comment les écrivains, les éditeurs et les lecteurs désignent-ils les « écrits de soi » ? Les titres aujourd’hui couramment utilisés (mémoires, autobiographie, vie, journal…) ont une histoire complexe. Ce colloque se propose de mener une enquête lexicologique sur les termes-clés de l’écriture de soi : noms de genres, titres et sous-titres, qu’ils soient employés dans l’œuvre ou hors du texte, par les auteurs, les éditeurs et les lecteurs, ou dans les traductions vers les autres langues européennes… Il s’agit d’analyser l’emploi des différents intitulés génériques au cours des siècles, de retracer l’émergence de ceux qui se sont imposés aujourd’hui, mais aussi de retrouver des appellations disparues, pour restaurer une complexité, un foisonnement, et pour interroger les frontières des genres, comprendre l’influence des modèles imités, saisir les différences entre les aires linguistiques.
Les exposés ont notamment examiné le cas des Mémoires de La Rochefoucauld, qui a aucun moment ne les désigne par ce terme ; de Pierre de l’Estoile, dont le projet évolue à mesure de son écriture, pour devenir de plus en plus personnel ; de Rétif de la Bretonne, qui a cherché a redéfinir le concept des Confessions par une surenchère hardie sur la formulation de Jean-Jacques Rousseau. Enfin, Françoise Simonet Tenant a changé son titre « Actualité ou obsolescence de l’appellation ‘journal intime’ » pour « Heurs et malheurs de l’appellation ‘journal intime’ », afin de mieux montrer comment cette expression a connu au fil du temps faveur ou défaveur. Cette étude s’appuyant sur quatre corpus différents suggère bien à quel point la dénomination ‘journal intime’, à laquelle l’APA préfère celle de ‘journal personnel’, a évolué en voyant ses contenus connaître des variations considérables.
La juxtaposition de ces communications fait apparaître, à mon sens, la variété des cas qui se présentent, l’instabilité des dénominations et l’usage qui en est fait par d’autres personnes que l’auteur (copistes et libraires dans les siècles passés) pour faire correspondre le titre des écrits de soi à leurs objectifs spécifiques. Le brouillage des frontières entre les genres s’avère particulièrement marqué dans le cas des Mémoires, selon que ceux-ci penchent davantage vers le récit personnel ou l’exposé de nature historique. Il sera intéressant de continuer à observer dans les années à venir la titrologie des écrits de soi, qui a encore beaucoup à nous apprendre.
On trouvera dans le pdf ci-joint le détail des interventions du vendredi 20 juin.
Elizabeth Legros Chapuis