Note de lecture par Denis Dabbadie
Editions Créaphis, 2024, 14 €, 180 pages, illustré
On ne peut qu’attribuer la note maximum du système français à Twenty-twenty que publie aujourd’hui Elise Hugueny-Léger, alors même qu’elle enseigne en Grande-Bretagne.
Elle offre ici un bilan de sa vie à 40 ans, revenant pour l’occasion sur ses 20 ans. Elle ne manque pas de se demander s’il n’est pas naïf de croire que ces dates toutes rondes se doivent d’être “un tournant” : “Peut-être que c’est ça qu’il fallait fêter : non le fait d’atteindre quarante, mais de fêter une deuxième fois vingt ans, plus réussie que la première. Sans les hésitations et l’inconfort qui m’habitaient alors. Peut-être que la première fois, bâclée comme le sont toutes les premières fois, était une répétition de celle-ci”.
Qui encore dira les vertus des deuxièmes fois ?
“Je voulais superposer plusieurs temporalités. Deux fois vingt, deux moitiés de vie. Une en français, dans le vingtième siècle, l’autre en anglais, dans le vingt-et-unième. Un équilibre parfait, prêt à se rompre…”
Désormais maman (sa fille a ici 10 ans), Elise ponctue ses chapitres de jeux d’enfants anglais dont elle nous décrit les règles en regard de dessins de Marie-Madeleine Franc-Nohain, ce qui fait également de son livre un objet tout de délicatesse.
Elle joue aussi avec son lecteur. Cette année 2020 demeure une échéance autant pour son histoire à elle que pour l’Histoire puisque c’est le 31 janvier que les médias annonçaient le moment symbole du Brexit, or Elise est née un 1er février. À nous de reconnaître dans celui qu’elle ne nomme que “l’épouvantail” un certain - incertain - “star Boris”, Premier Ministre qui promettait un avenir radieux à son pays à condition de retrouver toute sa singularité qu’il ne concevait que dans son insularité. À nous encore de deviner à qui elle s’adresse tout à coup : “Vous venez d’avoir quatre-vingts ans. Vous écrivez un livre. Vous habitez les mots et j’habite les vôtres. L’année de vos vingt ans, vous êtes partie en Angleterre. Vous aviez perdu vos certitudes quant à l’avenir. Vous ne saviez plus si vous vouliez étudier, devenir prof. Écrire, oui vous le saviez. Vous aviez connu la honte, vous vouliez vous réinventer. Vous êtes partie au pair. En quête de repères”. La vie se réitère. Il n’y a pas de je de hasard. N’y aurait-il que des miroirs ?
C’est Annie Ernaux qui avait, vingt ans auparavant, déjà effectué, Alice au pays des réveils, cette traversée. Annie Ernaux à qui Elise consacra sa thèse en 2007 (à retrouver sous le titre Annie Ernaux, une poétique de la transgression, livre publié chez Peter Lang en 2009), et qu’elle fait lire à ses étudiants britanniques depuis nombre d’années.
Elise, comme Annie, est ainsi, avec et pour nous, partie pour sa seule vraie patrie, celle des mots. Nous n’avons plus qu’à espérer qu’elle n’attende pas d’avoir deux fois quarante ans pour partager “more words, mere words” !