Couverture du livre d'Eric Dubois

Note de lecture par Pierre Kobel

Éric Dubois Journal, éditions Douro, 2024, 83 pages, 20 €

Dans L’homme qui entendait des voix publié en 2021, Éric Dubois faisait le récit de son parcours avec la maladie. Aujourd’hui, il ajoute une nouvelle part à ce récit, les deux formant un diptyque.

Michelet disait de son journal qu’il était son «âme de papier». Éric Dubois n’en est pas loin lorsqu’il écrit : «Je suis du bois dont on fait du papier et des livres, mon âme est une page blanche à réécrire sans cesse, mes pensées des feuillets au vent et ma vie une librairie à ciel ouvert.» Il nous livre avec ce Journal un texte d’une tout autre facture. C’est une plongée dans les écrits qui ont accompagné son syndrome. Journal oui, parce qu’il en fait une chronique, même s’il met en regard les textes d’avant et ceux d’aujourd’hui pour dire le chemin parcouru. Philippe Lejeune écrit que «le journal n’est pas seulement un texte : le choix du support, cahiers ou feuilles volantes, les croquis, les ornements et photos, les documents joints, lettres ou objets les plus divers, tout cela signe l’unicité du moment et de la personne et fait du journal, à sa manière, une œuvre d’art unique, modeste sans doute, mais vraiment personnelle.»

Éric Dubois nous dévoile à travers ses textes, poèmes, au fil des notations de ses carnets, dans le désordre mental qui était le sien lorsque fut diagnostiquée sa maladie, une quête de soi qui n’a jamais cessé de l’habiter depuis et d’être au cœur de son écriture. Cette recherche d’une identité personnelle s’est d’abord égarée dans la maladie mentale dont il écrit : «C’est cela, la folie, celle qu’on ne comprend pas, qui ne nous est pas donnée comme intelligible. N’attendez pas de moi que j’en donne une définition, pour moi la folie n’est qu’ontologique, elle est simplement.» Lorsqu’il note sur une page : «Tu es un type bien ordinaire qui, au moindre faux pas, croit que le ciel va te tomber sur la tête. Mieux vaut faire le mort ou la sourde oreille. Mieux vaut imiter des gestes, des codes, pour obtenir gain de cause dans la ruche humaine. D’ailleurs, pourquoi la sauver de son chaos organisé? Tu appartiens à la cruauté du monde.» Brouillon est-il inscrit sur les couvertures des carnets qui l’accompagnent. Brouillons des jours perdus, de la perte d’un réel, de l’attente d’un regard, de l’expression du désir par les mots et les dessins, mêlant notations quotidiennes, matérielles et citations d’écrivains.

Mais une fois revenu à l’équilibre avec l’aide des traitements médicamenteux, les mots ont suppléé les maux pour donner à l’existence de l’écrivain qu’il est, une colonne vertébrale nécessaire. Ce journal, c’est un refuge, exutoire, carnet comptable, mémoire, c’est le lieu, lorsque plus rien d’autre ne va, qui donne encore un peu le sentiment d’exister. Et dans le même temps, c’est un instrument de réflexion, de distance par rapport à soi qui permet non seulement de mieux se comprendre, mais aussi de mieux comprendre autrui et le monde extérieur. Ce n’est pas un exercice de narcissisme, seulement une mise à distance de sa propre existence. La nécessité d’un regard pour comprendre, pour supporter, pour avancer.

Le Journal d’Éric est traversé de poèmes. La poésie est au cœur de son écriture. Une poésie qui se retrouve jusque dans la prose lorsque l’expression de la première déborde dans le discours de la deuxième, lorsque cette dernière ne suffit plus à dire ce qui est indicible ainsi. Une poésie qui est aussi une recherche de soi-même, comme il l’écrit :

comprendre le besoin
de lumière
est sans nul doute
la voie tracée
nul besoin
d’avoir pour exister
s’approprier le langage
de la sagesse