Film documentaire, note par Bernard Massip
Ce film documentaire réalisé en 2023 a d’abord été présenté en Italie où la réalisatrice vit désormais et a été primé lors de divers festivals. Il nous est arrivé en France au mois de juin dernier.
Depuis l’âge de seize ans Chloé Barreau est une filmeuse invétérée, spécialement de sa vie sentimentale et amoureuse. Tout lui est bon pour archiver sa propre vie, elle conserve tout, lettres, photographies et surtout donc ces films qu’elle réalise sur le motif avec les moyens disponibles selon l’époque, du caméscope au téléphone portable.
Née en 1976, elle est la fille de Jean-Claude Barreau, un prêtre très médiatisé qui avait fait scandale au moment où il s’était défroqué pour épouser la future mère de Chloé. Elle a d’ailleurs réalisé en 2012 un documentaire sur cette affaire, La Faute à mon père, le Scandale de l’Abbé Barreau.
En même temps qu’elle vit une relation il importe à Chloé d’en fabriquer le souvenir et de tenter ainsi de conserver quelque chose de ses histoires d’amour révolues, de chercher à cerner les traces que ses amours ont laissé en elle comme celles qu’elle-même a pu laisser chez ses partenaires.
Pour recueillir ces traces elle use d’un dispositif original. Elle retrouve douze de ses partenaires (dont certaines sont devenues des personnalités de la littérature ou du cinéma) et les interroge aujourd'hui sur leur vécu des relations qu’elles ont entretenues dans le passé, brefs coups de cœur comme relation au long cours, relations charnelles passionnées comme amitiés amoureuses, avec des hommes comme avec des femmes. Mais, afin de rendre la parole plus libre, ce n’est pas elle qui conduit les interviews mais une tierce personne, Astrid Desmousseaux, en une sorte de procédé-tampon qui aide à la confidence. Ainsi chaque histoire peut avoir deux versions, la sienne et celle de ses partenaires.
Au travers des témoignages qui s’interpénètrent, se mêlent, en un patchwork qui peut paraître parfois un peu confus, se révèle une mémoire à la fois flottante et précise des faits et des sentiments, qui construit peu à peu un portrait en creux de la réalisatrice comme de l’époque. Chloé n’y apparait pas toujours à son avantage : séductrice, fantasque, amoureuse de l’amour, manipulatrice aussi et habile à cloisonner les relations. Les passions qu’elle a déclenchées ont pu être pour certain(e)s autant promesse que cruelle désillusion. Elle a pu faire preuve, selon le mot de l’une des interviewée, « d’une approche affective terroriste ». Mais elle assume d’apparaître ainsi, avec ses contradictions, car ce qui lui importe c’est la vérité, non pas tant la vérité des faits que, en tout cas, la vérité des sentiments.
Pour le spectateur il se dégage de l’ensemble des impressions ambivalentes : un climat un peu mélancolique, empreint d’une certaine tristesse car les histoires d’amour finissent mal en général mais aussi un sentiment de plénitude car ces histoires ont été et existeront toujours, quoiqu’il ait pu se produire par la suite et ce, justement, parce que la cinéaste a pris soin de les consigner en les filmant, se constituant ainsi en véritable « archiviste des sentiments ».
Une démarche qui ne peut que faire écho chez les adhérent(e)s et ami(e)s de l’APA !