Note de lecture par Marie-Laure Las Vergnas
Le père de Victorine, Pierre Malenfant, d’une riche famille bourgeoise et très pieuse, était un cordonnier franc-maçon qui participa à toutes les luttes républicaines contre la royauté (en particulier en 1848) et l’Empire, et dut s’exiler en 1851. Victorine adopta les convictions de son père. Révolutionnaire et internationaliste, piqueuse de bottines de son métier, elle devint ambulancière dans la 7e compagnie du 17e bataillon des Gardes nationaux parisiens à l’automne 1870. Ses deux enfants moururent (le second pendant la Commune), ainsi qu’un enfant qu’elle avait recueilli.
Elle raconte simplement, sans effets de style, son quotidien, commente les événements, les difficultés en particulier pendant le siège de Paris (hiver 1870-1871) et la Commune jusqu’aux derniers combats de la Semaine sanglante (28 mai 1871).
Ce jour-là elle s’échappe in-extremis par la fenêtre des baraquements du boulevard Serrurier où elle avait trouvé refuge avec ses derniers compagnons de lutte, en emportant sur elle le drapeau de sa compagnie. Elle se cache, puis réussit à retrouver sa mère. Elle apprend alors que, considérée comme une « pétroleuse » par les Versaillais, elle a été condamnée à mort le 25 mai et officiellement fusillée sur une barricade. Sa mère a même identifié son cadavre qui devait donc être celui d’une personne lui ressemblant.
Après des mois dans la clandestinité, elle réussit, en octobre 1872, à s’enfuir en Suisse où elle restera une dizaine d’années.
En 1908, à l’âge de 69 ans, elle se décide à publier ses souvenirs. Pour rappeler sa supposée exécution sommaire de 1871, elle les intitule « Souvenirs d’une morte vivante ». Elle signe alors « Victorine B. », pour souligner le fait qu’elle ne témoigne pas seulement pour elle-même, mais pour beaucoup d’ouvrières et d’ouvriers. Ce texte est un des rares témoignages d’une femme des classes populaires, acteur et observateur des événements, sur cette période.
(édité à compte d’auteur en 1909, puis par Maspéro en 1976 ; dernière édition Libertalia, 2023).
Pour mieux comprendre le contexte du récit de Victorine, on pourra utilement lire Les Pétroleuses d’Edith Thomas (réédition Gallimard histoire Folio, 2022), minutieuse enquête dans les archives sur ce mythe des communardes incendiaires, et – plus largement – sur la condition féminine de cette époque.