Un compte-rendu de la première édition du Festival du Journal intime, tenu à Paris, les 15, 16 et 17 septembre 2017
Festival, journal intime : ces deux expressions sont-elles compatibles, le caractère ostentatoire d’un festival n’est-il pas en contradiction avec l’écriture personnelle parfois secrète ? L’introspection souvent liée à l’écriture du je peut-elle s’exposer dans un cadre comme celui d’une prestigieuse Salle des Fêtes ?
C’est à ces questions qu’a tenté de répondre la manifestation organisée les 15, 16 et 17 septembre 2017, en partenariat avec l’APA, à la Mairie du IVe arrondissement de Paris.
L’APA a pris une part importante dans la mise en œuvre de ce projet, en fournissant le « matériau », c’est-à-dire en sélectionnant et en préparant les textes liés aux thèmes retenus pour les lectures (Le Journal au miroir, Portraits au vitriol, Guerres, Amours), textes qui proviennent aussi bien de dépôts conservés à l’APA que d’auteurs publiés et consacrés. Ce sont également les membres de l’APA qui ont rédigé les introductions et animé lectures et débats : Philippe Lejeune pour la présentation aux groupes scolaires, puis pour Le Journal au Miroir ainsi que pour une conférence avec diaporama sur la pratique du Journal personnel, Gérald Cahen pour Portraits au vitriol, Véronique Leroux-Hugon pour Guerres, ainsi que Laurence Santantonios et Elizabeth Legros Chapuis pour Amours .
Jeudi soir, le 14 septembre, le Festival a été inauguré par un grand vernissage et ouvert par le maire du IVe arrondissement, Christophe Girard, l’organisatrice Karine Hoarau-Glavany et Philippe Lejeune avec un public nombreux.
La journée du vendredi 15 septembre, entièrement consacrée aux groupes scolaires, a permis aux ados d’entendre Philippe Lejeune parler de l’écriture intime, puis de regarder le film Bonjour petit Copper dédié au Journal d’Ariane Grimm, bien connu des Apaïstes grâce à Gisèle Grimm, mère d’Ariane, présente dans la salle, et aux travaux de Philippe Lejeune. Ils ont ensuite participé à divers ateliers (dessin, graphisme, écriture...) dont Mots d’ados organisé par Irvin Anneix, autour de la représentation des émotions, la mise en scène de soi et la protection de son identité numérique.
Le Festival proprement dit s’est ouvert samedi matin 16 septembre par Le Bal du Silence , proposé par l’artiste et écrivain Mathieu Simonet. En fait, c’est le mot « silence » qui est le plus important dans cette démarche originale : après s’être engagé à se taire, chaque participant/e tire au sort un numéro qui le/la conduira à une table où il/elle se trouvera en face d’un/e inconnu/e, avec qui il/elle ne communiquera que par écrit, par le regard et par le geste, pendant une demi-heure. Une belle manière d’entrer en contact avec autrui ! Quand la musique qui met fin au silence retentit, beaucoup ont de la peine à sortir de la « bulle » dans laquelle ils/elles se sont enfermé/e/s avec leur vis-à-vis... et combien échangent ensuite leurs adresses !
En ce qui me concerne, la chance m’a placée en face de Zoé qui va sur ses 13 ans, certainement la plus jeune participante : ce fut une belle et authentique rencontre entre nous, qui aurions pu être grand-mère et petite-fille. Pour moi, une expérience aussi riche que profonde qui m’a donné à réfléchir sur le dialogue, les relations entre les êtres, la communication intergénérationnelle...
Samedi après-midi, Le Journal au Miroir a donné l’occasion d’entendre des textes, lus par Fanny Cottençon et Mazarine Pingeot, sur la pratique même de l’écriture personnelle et des questions qu’elle suscite. Benjamin Constant, Henri-Frédéric Amiel, Marie Bashkirtseff, les frères Goncourt, Axel Hardivilliers, par exemple, n’ont pas cessé de s’interroger sur le pourquoi et le comment de leurs écrits, l’avenir de ceux-ci... tout autant que des diaristes moins connus comme Émilie Serpin, Alice de la Ruelle ou Jean Robinet. Ce fut ensuite le tour de Pierre Arditi et de Jean Teulé de faire entendre les Portraits au vitriol d’auteurs célèbres sur leurs confrères : Victor Hugo, les frères Goncourt, Paul Claudel, André Gide, pour ne citer qu’eux, n’ont pas résisté au plaisir des descriptions cruelles et des bons mots, souvent fort drôles. Même Amélie Fabri, demoiselle genevoise dont le journal est en cours de publication, trempait parfois sa plume dans le vinaigre en relatant avec esprit les visites des dames de la bonne société. L’exposé de Philippe Lejeune sur La pratique du journal personnel, illustré de nombreuses images qui donnent un bel aperçu de la variété des écrits intimes, a clos cette journée.
Dimanche 17 septembre, ce sont les Guerres (14-18 et 39-45) qui ont fait l’objet des lectures effectuées par Stéphanie Bataille et Daniel Herrero. Là encore, alternance de textes déposés à l’APA et de récits publiés, bouleversants témoignages de celles et ceux qui ont été confrontés à ces heures dramatiques. Enfin, Claire Chazal et Alexandre Vizorek ont prêté leurs voix aux récits des amours heureuses ou malheureuses à travers les journaux intimes, édités comme celui d’Annie Ernaux, de Mireille Havet ou de Benjamin Constant, ou déposés à l’APA comme ceux de Claire Pic, Henry-Jacques Dupuy ou Catherine Rosset.
Le Festival s’est terminé par la projection du film de Dominique Cabrera, Demain et encore demain, en présence de la réalisatrice. Ce qui prouve que le journal est bien vivant dans le cinéma d’aujourd’hui ! Toutes les présentations ont été suivies de discussions avec le public, qui a ainsi pu donner son point de vue et poser des questions aux intervenants.
Comme l’a dit Philippe Lejeune lors de l’ouverture, le Festival s’est attaché à présenter le diarisme sous toutes ses formes : dans son actualité et sa jeunesse avec les installations d’Irvin Anneix et Mathieu Simonet, ainsi que le film de Dominique Cabrera ; dans sa pratique, avec les ateliers ; dans son extension historique et son ouverture thématique, avec les quatre séances de lecture et la présentation du diaporama.
Cette approche de l’intime, portée par des textes judicieusement sélectionnés et des personnalités de grand rayonnement, s’est avérée extrêmement riche et variée ; elle a dévoilé les multiples aspects de l’écriture de soi, en montrant combien celle-ci peut paradoxalement être ouverte sur autrui. Selon les termes de Philippe Lejeune : « Loin d’être une pratique narcissique et stérile, l’écriture du journal fait face courageusement à l’écoulement du temps et aux défis de la vie, dans une solitude provisoire qui peut se terminer en généreux partage. C’est le sens même de notre manifestation. Nous l’avons nommée "festival", peut-être le mot "rencontre" en donnerait-il mieux la note intime et conviviale. »
lundi 25 septembre 2017, par Chantal de Schoulepnikoff